Nouvelles réglementations de transparence et de durabilité : quels impacts pour les institutions financières ?

Historique :

En 2015, après la COP-21, 196 pays ont signé l’Accord de Paris pour lutter contre le réchauffement climatique et maintenir la hausse bien en dessous de deux degrés d’ici 2100. Pour donner suite à cela, l’Union Européenne a fixé un objectif de neutralité carbone en 2050. Selon le ministère de la transition écologique, la baisse des émissions de gaz à effets de serre de 23% entre 1990 et 2018 dans la zone euro valide l’objectif à horizon 2020 (-20%), la Commission Européenne fixe la prochaine échéance à 2030 avec pour objectif une baisse de 50% par rapport à 1990. En réponse à ces objectifs, on peut noter qu’en France les investissements en faveur du climat représente 45 milliards d’euros en 2018 et l’État prévoit un budget de 37 milliards dans le projet de finances durables en 2021.

Malgré ces moyens et ces objectifs affichés, les résultats peinent à suivre au niveau national. En effet, on peut noter une augmentation de la temérature de 1,8°C entre 1990 et 2018 (supérieur à la moyenne européenne) et une baisse des émissions de gaz à effet de serre non conforme aux objectifs horizon 2020. Par conséquent, le 3 février 2021, le tribunal administratif de Paris a jugé l’État responsable de manquements dans la lutte contre le réchauffement climatique à hauteur de ses engagements. Afin de concrétiser ces engagements en lois et d’initier la réalisation des objectifs, l’article 173 de la loi Transition Energétique pour la Croissance Verte (TECV) de 2015 vise à promouvoir les investissements durables en mettant en lumière des indicateurs de risques et de performance environnementaux. Concernant les banques, cela se traduit par une publication et un reporting régulier de leurs politiques et leurs offres d’investissements sur leur site internet, afin qu’elles intègrent les enjeux climatiques dans leurs stratégies. En outre, cela peut modifier le comportement des investisseurs dans leur choix d’investissement et leur gestion de portefeuille. La prise en considération d’indicateurs de risques et de performance extra financier peut les inciter à opter pour des investissements durables.

La loi Énergie et Climat de décembre 2019 vient modifier et élargir le champ de la loi TECV. Cette loi étend le champ des entités concernées par ces exigences en incluant les établissements de crédits ainsi que les sociétés de financement. Mais encore, selon l’article 29, les risques liés à la biodiversité font désormais partie des risques Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) à prendre en compte.

« Comment se conformer aux exigences de transparence requises par ces lois ? »

En effet, à partir du 10 mars 2021, les acteurs des marchés financiers doivent inclure des informations sur les risques et impacts ESG dans leurs activités de gestion de portefeuille pour le compte de tiers et de conseil en investissement. De plus, ces acteurs seront tenus de publier et tenir à jour ces informations sur leur site internet afin de rendre l’information publique. Cela incite à mettre en place des processus de reporting au sein des organismes bancaires afin d’actualiser les risques et les impacts ESG. On remarque que ces lois pionnières constituent de bonnes directives, mais elles nécessitent d’être soutenues par de la méthodologie, des processus et des outils permettant d’accompagner les entités dans ces changements organisationnels.

En matière d’indications reporting, les lois européennes sont plus avancées. La loi française TECV a inspiré les autorités européennes dans la création du Règlement Disclosure. Adopté en mars 2019, ce règlement définit la méthode dont les acteurs du marché financier et les conseillers financiers doivent prendre en compte les risques et les opportunités ESG dans leurs processus et tenir les clients informés. Concrètement, ils doivent publier des informations sur la prise en compte de ces risques liés à la biodiversité et au changement climatique dans la décision d’investissement, la manière dont la politique de rémunération est alignée à l’intégration des risques de durabilité et enfin la prise en considération de ces risques dans les conseils en assurance et investissement. La loi exige aussi la publication d’une déclaration sur les politiques relatives aux incidences négatives des décisions d’investissement selon le principe « comply or explain ». Soit l’entité se conforme à la règle, soit elle doit expliquer en justifiant l’absence d’informations requises.

On peut noter qu’à partir du 1er janvier 2022, rentrent en application des règles relatives aux rapports périodiques qui vont renforcer la méthodologie de publication des indicateurs extra-financier et définir des indicateurs de risques et de performance. L’institution doit décrire la résilience de son business model face aux risques climatiques à court, moyen et long terme de sa stratégie pour harmoniser le reporting.

Cette transparence renforcée permet en outre de réduire le risque de « ESG washing ». Les informations publiées sont visibles aux yeux des ONG, de la société civile et des investisseurs qui peuvent demander des comptes aux entités. Ces lois viennent prouver l’engagement des entités soucieuses en matière de développement durable.

Perspectives :

-Différencier les risques, impacts et objectifs par niveaux dans le reporting: produit financier, filiale, domaine d’activité pour des informations plus pertinentes.

-Travailler en collaboration avec les acteurs du privé sur l’élaboration d’outils permettant de récolter des informations utiles et d’intégrer des méthodes efficaces qui orientent la stratégie durable des acteurs économiques et financiers.

« Quelles sont les outils efficaces permettant aux banques de comparer les secteurs/entités durable ? »

Afin de permettre une utilisation pertinente et efficace des informations extra-financières récoltées grâce au Règlement Disclosure, le Parlement et la Commission européenne ont travaillé à l’élaboration d’outils de comparaison Benchmark et Taxonomy qui permettent de mettre en comparaison les activités économiques durables à différentes échelles (actifs, entités, secteurs). Les établissements bancaires peuvent ainsi prendre en compte ces classifications dans leurs conseils d’investissements et leur gestion de portefeuille. Ces outils d’information et de comparaison renforcent la position des banques, le gain d’informations et de nouveaux indicateurs permet d’élargir leur pouvoir de conseil d’investissements, de gestion de portefeuille et de gestion d’actifs.

Le Règlement Benchmark

Le Règlement Benchmark, adopté en première lecture en 2019 a pour objectif d’établir une différenciation claire entre les indices de référence ‘EU Climate transition Benchmark’ et les indices de référence ‘EU Paris Aligned Benchmark’.

Le ‘EU Climate Transition benchmark’ est un indice dont les actifs sous-jacents constituent un portefeuille qui tend à répondre aux échéances fixées par l’UE de décarbonisation dans l’optique d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Les fournisseurs d’indices conformes à l’objectif de neutralité carbone devront au plus tard le 31 décembre 2022 :

  • Déclarer des objectifs quantifiables accompagnés d’échéances en matière de baisse des émissions de carbone.
  • Déclarer une baisse des émissions de carbone détaillée jusqu’à l’échelle des filiales concernées.
  • Publier annuellement des informations d’avancement de la réalisation des objectifs.

Le ‘EU Paris-Aligned benchmark’ est un indice dont les actifs sous-jacents sont choisis de manière à composer un portefeuille dont les émissions carbones sont en accord avec l’objectif de limitation du réchauffement climatique établi par l’Accord de Paris. Pour être reconnu équivalent à l’‘EU Paris-Alligned’, l’indice devra :

  • Trier les actifs qui répondent aux objectifs de l’accord de Paris ;
  • Ne pas inclure d’activités liées aux actifs sous-jacents qui compromettent les autres objectifs ESG ;
  • Être constitué conformément aux normes minimales définies dans les actes délégués.

Les établissements bancaires peuvent utiliser ces deux grilles pour sélectionner les actifs considérés comme étant « durables » en fonction des indices, analyser les actifs les mieux représentés dans les deux Benchmark afin de les promouvoir dans leurs activités de conseil en investissements et gestion d’actifs, et d’avoir des portefeuilles en adéquation avec les objectifs ESG.

Le Règlement Taxonomie

Ensuite, le Règlement Taxonomy adopté le 18 juin 2020 vient compléter le Règlement Benchmark, avec le même principe de classification européenne, cette fois ci à l’échelle des activités économiques. La classification se fait exclusivement autour des activités écologiquement durables « vertes » afin d’encourager les investisseurs vers des investissements durables et mettre en lumière les projets durables pour augmenter leur attractivité.

Pour qu’une activité soit considérée comme « verte », elle doit répondre à trois critères cumulatifs : contribuer à au moins un des six objectifs environnementaux définis par le règlement, ne pas causer d’effet négatif aux cinq autres objectifs et respecter le droit du travail et les droits de l’homme.

Selon les analyses scientifiques du groupe d’experts techniques sur la finance durable (TEG), parmi les 70 activités, le secteur « activités financières et assurance » fait partie des huit macro-secteurs ayant un rôle a jouer dans les objectifs d’atténuation et d’adaptation au changement climatique.

En plus d’avoir un rôle, les acteurs du marchés financiers sont concernés par cette notation à travers leurs produits financiers commercialisés en Europe. Selon le règlement du Parlement et du Conseil européen, cette règle diffère selon le type de produit, la prise en compte n’est pas la même.

Les produits financiers peuvent :

  • Se référer à la Taxonomy, s’il y a « pour objectif un investissement durable sur le plan environnemental » (Article 5) « ou pour objectif un investissement favorisant les critères environnementaux » (Article 6)

Dans ce cas-là, les banques et assurances devront présenter dans les informations précontractuelles et les rapports périodiques, la manière dont elles ont utilisé la Taxonomy pour déterminer la durabilité des investissements, les objectifs environnementaux auxquelles les investissements répondent et la part d’investissements qui correspondent à la Taxonomie. Sinon, elles devront présenter dans les mêmes documents :

  • Une clause postulant que « les investissements sous-jacents à ce produit financier n’incluent pas les caractéristiques de l’UE en matière d’activités économiques durables sur le plan environnemental » (Article 7).

Malgré les multiples procédures auxquelles les banques sont soumises, la Taxonomy permet de revoir la stratégie. La grille permet de bien positionner ses offres tout en développant une stratégie générale où les projets éligibles à la taxonomie peuvent être refinancés par des produits financiers durables. Enfin, cela peut instaurer une nouvelle forme de concurrence qui peut motiver les entreprises à se soucier de l’environnement pour améliorer leurs indicateurs de performance extra-financier et attirer des clients et des capitaux.

Perspectives :

  • Les outils Benchmark et Taxonomy « constituent de bons outils permettant de guider les plans de relance des secteurs public et privé » (Communiqué du TEG concernant les plans de relance post-COVID-19 du 27 avril 2020)
    En plus d’avoir un rôle dans la transition climatique, la Taxonomy aide à la relance économique. En effet, le Parlement européen a demandé qu’au moins 40% des fonds de relance aillent au financement de projets éligibles à la Taxonomie.
  • Le 1er juin 2021, la Commission européenne va adopter des actes délégués pour détailler le contenu, la présentation des informations et les processus à suivre afin de se conformer à la Taxonomie.
  • A court terme, au vu de l’urgence climatique on peut songer à établir une deuxième grille de Taxonomie, afin d’élargir le champ des activités mis en valeur par cet outil, tout en maintenant une différenciation.

Les Auteurs

Ivan Richet

Consultant Junior

Adrien Pina

Manager

Vincent Falgeras

Associé