Le point de vue d’ACI partners sur la consultation de l’EBA à propos de l’intégration des risques ESG au sein des banques

Introduction

L’article 98 du ‘Capital Requirements Directive’, publié par l’European Banking Authority (EBA) dans son rôle de superviseur des banques européennes préconise de proposer des méthodes, processus, outils d’analyse et stratégies à mettre en œuvre par les institutions pour identifier, évaluer et gérer les risques ESG selon leurs impacts sur les activités de crédit et d’intermédiation financière.

Afin d’atteindre cet objectif, l’EBA a émis une consultation ainsi qu’un discussion paper[1] .

Cet article présente les principaux points de consultation ainsi que nos convictions en termes de  stratégie, d’organisation et de gouvernance des banques ainsi que des plans d’actions afférents.

[1] EBA discussion paper, on management and supervision of ESG risks for credit institutions and investment firms (03/11/2020)

I- Rappel des recommandations de l’EBA

L’EBA identifie quatre axes stratégiques accompagnés de recommandations à suivre pour les banques :

La mise en place de ces stratégies nécessite une démarche à mener au sein de l’organisation qui pourrait changer la structure et l’activité de certains métiers. L’EBA identifie à ce titre trois volets organisationnels.

Premier volet : le rôle de l’organe de direction

La direction doit veiller à ce qu’il y ait un suivi des risques et de leur évolution qui pourrait impacter la réalisation des objectifs fixés à court, moyen et long terme. Cette activité de contrôle et de suivi des risques peut impliquer des changements dans les fonctions et les responsabilités des métiers pouvant aller jusqu’à une réorganisation des équipes. Les banques peuvent envisager la constitution d’un comité dédié aux risques ESG au niveau de la direction.

Deuxième volet : l’intégration des risques dans les métiers

Il est nécessaire d’identifier les métiers qui doivent prendre en considération les risques ESG dans leur activité afin de mettre en œuvre la stratégie de manière efficace. Les banquiers et les commerciaux doivent incorporer les risques ESG dans leur activité d’octroi de prêt. Pour cela, la collecte des données pertinentes au moment de l’émission du prêt peut fournir les outils utilisés dans l’évaluation de la capacité de remboursement des emprunteurs sur le long terme sur des dimensions extra-financières. Pour les établissements qui créent ou prévoient de créer des facilités de « crédit vert », il convient d’introduire des procédures ou des questionnaires qui exigent diverses informations pour s’assurer de l’engagement ESG des contreparties sur le long terme.

Troisième volet : la politique de rémunération incitative

Les institutions peuvent élaborer une politique de rémunération incitative dans le but de promouvoir une bonne gestion des risques ESG dans les opérations bancaires. La politique de rémunération incitative incite les employés à s’approprier les objectifs de l’établissement et accélère le développement de la culture ESG. Pour ce faire, il convient d’appliquer cette politique à l’ensemble du personnel, mais plus particulièrement aux métiers que nous avons identifiés « métiers impactant » comme les banquiers soumis à plus d’exigences et de responsabilités dans le cadre de l’octroi de crédit vert. De plus, il est nécessaire d’aligner la politique de rémunération entre les objectifs ESG et la stratégie globale à long terme pour éviter les conflits d’intérêts avec les enjeux financiers.

II- Point de vue ACI

L’apport de ces exigences ESG comporte plusieurs challenges. Tout d’abord, l’ajout de critères ESG dans les conditions d’octroi de crédit et d’exclusion de certaines contreparties, aura un impact sur le mix produits et clients. La stratégie commerciale devra donc en lien avec les directions de risques évaluer ou positionner le curseur de sorte qu’il n’y ait pas de dégradation du PNB à court, moyen ou long terme supérieure au gain sur les réductions de provisions et pertes.

Ensuite, une banque doit se refinancer, et dans ce cadre il convient de se poser la question de l’impact sur des émissions vertes de la banque sur sa marge, et/ou quels pourraient être les impacts des mécanismes de refinancement ou de produits d’épargne adossés à des crédit verts. Ces deux éléments se traduisent à la fois par une nécessaire discipline de la banque sur le respect de ces propres critères ESG et également par la rigueur des mécanismes de collatéralisation.

Enfin, ce thème nécessite aussi une gouvernance à la hauteur afin d’embarquer l’ensemble des parties prenantes dans une stratégie à enjeux sociétaux.

Nous avons ainsi identifié cinq actions à mener pour une stratégie ESG efficace :

Action 1 : Adapter la gouvernance

Au regard de la consultation de l’EBA, nous pensons que la thématique de la gouvernance est trop peu abordée. En effet, la mise en place d’une stratégie ESG efficace nécessite que les décisions prises par la direction soient pleinement explicitées, acceptées et validées par le conseil d’administration. L’adoption des axes stratégiques identifiés par l’EBA nécessite forcément l’implication des instances décisionnelles. Dans cette optique, il peut être judicieux de créer un comité spécialisé ESG au niveau du conseil d’administration au même titre que les comités d’audit, de risques de crédit et de rémunération.

Comme le mentionne l’EBA, cela doit aussi se décliner au niveau opérationnel, par la création d’une direction ESG composée de personnel expérimenté en termes de techniques bancaires et sur les sujets ESG. Probablement, cette direction ne devrait pas être rattachée à une direction existante (risque, conformité, communication…) mais plutôt être indépendante et travailler de manière transverse, car le périmètre de l’ESG touche plusieurs départements de la banque. Ce point est à étudier en fonction de la taille, du/des marchés, de la maturité de l’organisation.

Action 2 : Cadrer les risques et cibler les clients

En France, le crédit est essentiellement intermédié avec un faible recours aux marchés financiers. Le risque crédit est dès lors principalement porté par la banque. Celle-ci doit donc inclure dans ces critères d’octroi de crédit les critères ESG, mais cela ne veut pas pour autant dire modifier le score de crédit. En effet, le score ESG devrait a minima être ajouté comme élément de décision et avec objectif de pouvoir backtester ultérieurement celui-ci en termes de capabilité à prédire le défaut.

Dans cette optique, il est essentiel de « cadrer » les risques ESG. Nous recommandons une formalisation et un alignement sur les exclusions au travers de ce prisme ESG. [1] Il reviendra au comité ESG de déterminer les niveaux tolérés en termes d’exposition aux risques ESG. Les équipes produits et commerciales pourront se poser la question des financements qui pourront être apportés pour aider les sociétés à faible score ESG pour investir et se réinventer sur ce sujet, dégageant de la valeur tant pour le client que pour la banque.

De plus, la banque peut cibler les clients dans ces activités : les entreprises actuellement performantes en termes de risques ESG ou bien les projets innovants dont le modèle se base sur la transition tel que l’économie circulaire ou le recyclage (…). En outre, de notre point de vue, il convient aussi d’associer les entreprises qui réalisent des efforts pour s’adapter progressivement à la transition écologique [2].

[1] Cf. analyse Fitch : les secteurs exclus et menacés des activités bancaires (09/01/2020)

https://www.finance-investissement.com/nouvelles/actualites/les-banques-davantage-sensibles-aux-risques-esg-dit-fitch/

[2] Cf. article Les Echos : Total va diminuer sa production de pétrole (01/10/2020)  https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/total-va-diminuer-sa-production-de-petrole-une-premiere-en-un-siecle-1250453

Action 3 : Simuler financièrement les impacts attendus de cette stratégie et communiquer avec le conseil d’administration, les actionnaires et les équipes

Les régulateurs imposent maintenant des exercices de stress tests sur les aspects environnementaux. Les premières conclusions de l’exercice stress test de l’ACPR démontrent que l’exposition des établissements français aux secteurs les plus affectés par le risque de transition est plutôt modéré[1]. Les banques doivent désormais améliorer la prise en compte des risques liés au changement climatique sur le long terme ainsi que les risques liés aux événements naturelles provoquant des risques physiques. Nous sommes conscients que le critère ESG peut-être perçu comme un frein par les actionnaires, mais nous jugeons utile de leur communiquer les résultats des stress tests afin de les sensibiliser aux impacts financiers que peuvent engendrer les risques ESG.

Le comité ESG au niveau opérationnel pourrait aussi jouer un rôle dans la communication interne sur les risques ESG auprès des équipes afin de développer une culture du risque appropriée. Cela peut se traduire par de la formation, la diffusion de données et d’objectifs afin que l’ensemble du personnel (y compris les métiers à impact) s’approprient les enjeux ESG et se sentent plus impliqués dans la stratégie.

De plus, le comité peut cibler les salariés afin de les sensibiliser sur le domaine social. Cela peut consister à revoir les codes de conduite à propos des comportements et des relations à adopter vis-à-vis des fournisseurs afin de maintenir une image positive.

[1] Cf : résultats du premier exercice stress test de l’ACPR (04/05/2021)

https://acpr.banque-france.fr/en/communique-de-presse/acpr-publishes-results-first-climate-pilot-exercise-covering-banking-and-insurance-sectors

Action 4 : Préparer l’industrialisation de la collecte pour être opérationnel dans le déploiement de cette stratégie

Les banques peuvent s’appuyer sur des supports existants pour faciliter la classification des portefeuilles, notamment la Taxonomy et le Benchmark qui représentent des outils potentiels[1]. Ces grilles permettent de classifier les entreprises et les secteurs en fonction des standards internationaux. La Taxonomy déjà en vigueur est exclusive aux entreprises « vertes » ce qui permet de favoriser le financement d’entreprises qui répondent actuellement aux objectifs internationaux. Comme autres illustrations de la collecte des informations sur l’intégration des critères et la performance ESG des contreparties, la Déclaration de Performance Extra-Financière (DPEF) constitue une bonne source de données au travers du rapport d’expertise accessible publiquement et mis à jour annuellement. Cette source d’information peut être complémentée par les analyses des agences de notation extra-financière qui attribuent des notes aux entreprises selon leur performance et leurs actions ESG.

[1] Cf : article ACI partners (10/02/2021) https://acipartners.fr/2021/02/10/finance-durable/

Action 5 : Communiquer avec les fournisseurs et leur demander de s’adapter

Il nous semble important de communiquer à propos des risques ESG, des objectifs et des attentes de la banque envers l’ensemble des partenaires. On peut mentionner les fournisseurs, voire les sous-traitants, il peut être pertinent de formaliser les attentes en matière ESG dans les processus d’achats et les contrats afin d’embarquer l’ensemble de l’écosystème dans la stratégie ESG. Afin que cela soit efficace, l’établissement peut octroyer des bonus aux partenaires vertueux en matière ESG. De plus, la direction des achats peut mettre en place une chartre d’achats responsables afin que les attentes deviennent des exigences dans les accords futurs de la banque et de verdir son portefeuille de partenaires.

III- Pour conclure …

Les autorités compétentes développent plusieurs consultations et stress tests de manière régulière pour aboutir à l’élaboration de nouvelles normes et standards :

Les équipes d’ACI restent à votre disposition pour échanger sur le cadrage et la mise en place des cinq actions identifiées. Nous possédons des expertises et des compétences qui peuvent nous permettre d’intervenir sur des projets d’intégration des risques ESG dans le secteur bancaire.

 

Les Auteurs

Ivan Richet

Consultant Junior

François Pinneau

Associé

Jean Fabrice Feuillet

Associé